Avec un peu de retard par rapport à son homologue français[1], le législateur italien a transposé en droit national la Directive UE 2022/2464 – Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)[2] – via le décret législatif n°125 du 6 septembre 2024 (décret 125/2024).
Ce décret vise donc à faire évoluer les obligations de transparence sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et à renforcer la confiance entre l’entreprise concernée et ses parties prenantes (clients, citoyens, États, partenaires commerciaux, investisseurs, etc.), de façon à permettre à ces dernières de mieux comprendre comment la RSE-ESG est intégrée dans la stratégie et les métiers de l’entreprise.
Champ d’application du décret 125/2024
Aux termes de l’art. 2 du décret législatif n°125/2024, les nouvelles dispositions s’appliquent aux entités qui adoptent l’une des formes juridiques suivantes :
- Société par actions (SPA)
- Société en commandite par actions (SCA)
- Société à responsabilité limitée (SARL)
- Société en nom collectif (SNC)
- Société en commandite simple (SCS) dont les associés sont des entités ayant la forme juridique d’une société par actions (SPA), d’une société à responsabilité limitée (SARL) ou bien d’une société en commandite par actions (SCA)[3].
Sont exclus du champ d’application du décret 125/2024 la Banque d’Italie, les fonds d’investissement alternatifs (FIA), les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM)[4] et les micro-entreprises.
Parmi les entreprises concernées figurent aussi les sociétés d’assurance et de réassurance[5], et les établissements de crédit[6] indépendamment de la forme juridique adoptée.
En ligne avec la Directive CSRD, les nouvelles exigences de transparence visées par le décret 125/2024 s’appliquent de manière progressive et selon le calendrier suivant :
Points clés du décret 125/2024
Le décret 125/2024 renforce donc les obligations de transparence en matière de durabilité. Les entités qui relèvent de son champ d’application doivent établir annuellement un rapport de durabilité, sur une base individuelle ou consolidée, contenant des informations sur la durabilité et sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), qui sont établies selon le principe de « double matérialité », qui conduit à refléter à la fois sur les incidences des enjeux de durabilité sur la performance économique de l’entreprise (vision « Outside-in »), et sur les impacts, négatifs ou positifs, des activités de l’entreprise sur l’environnement et la société (vision « Inside-out ») .
Le rapport de durabilité doit être inclus dans le rapport de gestion et être clairement identifié dans une section spécifique du rapport de gestion. Il doit être publié sur le site Internet de l’entreprise.
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Contenu du rapport de durabilité
Le rapport de durabilité – qui doit être rédigé en se basant sur les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) édictées par l’EFRAG – doit inclure les informations suivantes :
- Le modèle d’affaire et la stratégie de l’entreprise en matière de durabilité
- Les objectifs à long et court terme de l’entreprise en matière de durabilité (les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre), en précisant aussi les progrès réalisés et les mesures adoptées pour s’adapter aux conséquences du changement climatique
- Les compétences et le rôle joué par les organes d’administration et de contrôle dans la mise en œuvre de la stratégie RSE-ESG
- Les principaux risques de durabilité – y compris les risques créés par ses relations d’affaires, ses produits ou ses services – et les mesures adoptées pour gérer et maîtriser ces risques
- Les politiques et procédures de diligence raisonnable mises en œuvre par l’entreprise pour prévenir identifier et atténuer la survenance de ces risques
- Les indicateurs utilisés et le système de contrôle interne et de suivi adopté.
Les entités assujetties doivent indiquer les procédures mises en œuvre pour identifier les informations qui ont été incluses dans le rapport de durabilité.
Des exceptions et dérogations sont prévues pour les PME cotées, les petites entités et les entreprises d’assurance et de réassurance.
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Attestation d’assurance
Le décret 125/2024 renforce les compétences et les responsabilités du réviseur comptable. Il prévoit, en effet, l’institution d’un « reviseur de durabilité », qui doit auditer les informations en matière de durabilité. Ce rôle peut être également assuré par le reviseur comptable ou bien par la société de révision, qui sont déjà chargés de certifier les comptes comptables de l’entreprise.
Le décret 125/2024 établit les critères que doit remplir le reviseur de durabilité pour que soit inscrit dans la liste des reviseurs comptables autorisés à certifier les informations en matière de durabilité, et précisent qu’il doit :
- Être déjà inscrit sur la liste des reviseurs comptables
- Avoir effectué un stage d’au moins 8 mois chez un reviseur comptable ou une société de révision, tous deux dûment inscrits
- Avoir effectué une formation obligatoire et avoir réussi un examen spécifique attestant ses compétences en matière de certification d’informations de durabilité.
Toutefois, un régime transitoire est prévu pour tous les reviseurs comptables inscrits avant le 1er janvier 2026. Ces professionnels sont dispensés du stage obligatoire et de l’épreuve de durabilité ; ils doivent se contenter de suivre une formation en matière de la durabilité.
Le reviseur de durabilité a la responsabilité d’émettre un avis technique (dit « attestation de conformité ») sur le rapport de durabilité établi par l’entreprise. A ce titre, il doit :
- Évaluer la conformité de l’information de durabilité avec la Directive CSRD et les normes européennes (ESRS)
- Évaluer la conformité du processus mis en œuvre pour collecter les informations renseignées dans le rapport de durabilité
- Évaluer la conformité de l’information de durabilité avec le Règlement Taxonomie.
L’attestation de conformité consiste en un rapport établi dans le respect des principes d’attestation qui seront adoptés par la Commission européenne au plus tard le 1er octobre 2026. Entre-temps, les reviseurs comptables pourront appliquer les normes d’assurance élaborées, au niveau national, avec la collaboration des Autorités de contrôle, des associations de secteur et des ordres professionnels, et adoptées par le ministère de l’économie et des finances, entendu la CONSOB.
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Sanctions
Les administrateurs, les membres du collège sindacale et les reviseurs comptables doivent être particulièrement vigilants pour adopter le comportement adéquat, a fortiori dans le cadre de la mise en œuvre des nouvelles exigences de transparence qui s’imposent aux entreprises concernées.
Ils doivent agir avec professionnalisme et diligence et doivent faire rapport (c’est le cas notamment du collège sindacale) à l’assemblée générale des actionnaires.
En cas de non-respect de ces exigences, le décret 125/2024 prévoit l’application de sanctions sévères à l’égard des organes de gouvernance.
Impact sur la gouvernance d’entreprise
Les dispositions visées par le décret législatif n°125/2024 renforcent aussi le rôle des organes de gouvernance des entreprises concernées.
Le conseil d’administration (CA) est responsable de l’établissement du rapport de durabilité. Il doit d’abord vérifier que la structure organisationnelle, administrative et comptable de l’entreprise est en conformité avec les exigences de la Directive CSRD, et que les diverses fonctions de l’entreprise sont en mesure de fournir les informations nécessaires à l’établissement du rapport de durabilité. Il doit enfin approuver le rapport de durabilité établi en collaboration avec les autres fonctions de l’entreprise.
Dans ce cadre, un rôle important joue le responsable de la fonction d’Internal audit qui doit aider le CA à mettre en œuvre la stratégie et les objectifs ESG au sein de l’entreprise.
Le CA a, en outre, la possibilité d’instituer un comité de durabilité chargé de lui fournir des avis en matière de ESG et de mise en œuvre de la Directive ESRD.
Le collège sindacale, quant à lui, doit vérifier que l’entreprise dispose d’un système efficace de contrôle interne et de gestion des risques, doit surveiller l’activité du responsable de la fonction d’Internal audit, et doit notamment vérifier que le reviseur comptable ou bien la société de révision possèdent les critères d’indépendance et les compétences de durabilité prescrites par la Directive CSRD.
Enfin, l’assemblée des actionnaires doit approuver la nomination du réviser de durabilité après avoir reçu l’avis favorable du collège sindacale.
Entrée en vigueur le 24 septembre 2024, le décret 125/2024 modifie les dispositions en vigueur contenues dans le Code civil, le Texte unique de la Finance (TUF), le Code des entreprises d’assurance, le décret législatif n°39/2010 portant sur la révision légale, le décret législatif n°136/2015 portant sur le bilan d’exerce et le bilan consolidé et le décret législatif n°127/1991 portant sur les états financiers consolidés.
gp@giovannellapolidoro.com
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[1] La Directive CSRD a été transposé en France par l’ordonnance n°2023-1142 du 6 décembre 2023 « relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales » et le décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023.
[2] La CSRD, en vigueur depuis le 5 janvier 2023, met l’accent sur les rapports de durabilité des entreprises, Dans le but de moderniser et de renforcer la discipline sur les informations sociales et environnementales que les entreprises sont tenues de divulguer afin de favoriser une transition vers un système économique, productif et financier durable et inclusif. La CSRD, qui fait partie du paquet de mesures financières durables de la Commission européenne, étend considérablement le champ d’application, les exigences en matière de divulgation et de déclaration par rapport à la précédente directive 2014/95/UE, la directive sur l’information financière (NFRD).
[3] v. Directive 2013/34/UE, Annexe I.
[4] v. art. 2, point 12), lettres b) et f) du Règlement UE 2019/2088
[5] v. art 88, alinéa 1, et art 99, alinéa 2 et 2 bis du décret législatif n°209/2005
[6] v. art 4, par. 1, point 1) du Règlement UE n°575/2013